Interview d'août 1991
Interview remontant à août 1991 et enregistrée en Irlande alors que Nirvana s'échauffait avant de s'offrir sa première apparition au Festival de Reading (en ouverture de Sonic Youth).
Que signifie cette carte de crédit au nom de "Nirvana Inc." ? Êtes vous devenus des punks corporatistes ?
Chris : En fait non, on n'a pas un rond... on a tout claqué dans l'album.
Kurt : 33% aux impôts, 15 à notre manager, 10 à notre avocat, 10 à notre comptable... On a filé à Sub Pop un bon paquet de tunes.
Chris : On a engagé un manager et tout est parti de là. Il s'est avéré qu'il manageait Sonic Youth et que ce groupe était justement signé sur Geffen. Mais on aime bien Geffen. De toutes ces major companies de merde, c'est la moins merdique. Maintenant, ces putains de Stones Roses vont signer aussi et ils vont rafler un max de blé au passage. Ces types-là vont plumer Geffen. Mais, tu sais, les gens pensent que c'est pareil pour nous et qu'on a des millions de dollars à la banque. Or, c'est faux, on n'a même pas obtenu le quart de ce que Geffen leur a proposé. On n'en a eu qu'un dixième, un putain de dixième.
La rupture avec Sub Pop s'est-elle déroulée de manière amicale ?
Chris : Ouais, tout va bien entre nous maintenant.
Kurt : Merde, on les hait comme la peste! Quand on se parle, c'est toujours par lettre piégées interposées ou par invectives au téléphone. On déboule chez Sub Pop tous les mois et on va pisser sur leur tas de CDs. Quant à Bruce et son acolyte, ils débarquent à Olympia et ils me coursent dans les rues. (Rires) Non, on taille le bout de gras quand on se voit. La seule chose que Bruce et Jon cherchaient à faire en montant Sub Pop était d'aider certains amis à sortir des disques. Puis, soudainement, l'affaire a pris une ampleur démesurée et tout le monde a cédé à la panique devant la menace des major companies. Nous, ça faisait un an qu'on voulait quitter Sub Pop. Et si on avait signé avec n'importe quel autre label indépendant, on n'aurait pas pu racheter notre contrat à Sub Pop. On voulait que nos disques soient dans les bacs, en fait. C'était ça notre principale motivation. Sub Pop ne nous payait pas, la comptabilité était plutôt foireuse, mais c'était surtout parce que les kids n'arrêtaient pas de venir nous voir après les concerts en nous disant qu'ils n'arrivaient pas à trouver notre disque. Mais bon, Bruce et Jon gèrent leur label bien mieux que je n'aurais pu le faire, je n'ai donc pas de raison de me plaindre.
Chris : Oui, mais ce n'est pas ton boulot de gérer un label. Nous, on leur fournit de la musique, et après c'est à eux de la vendre.
Kurt : Et ils nous ont fait une bonne promo.
Chris : Non, pas du tout, ils ont seulement eu de la chance. Enfin, de toute façon, on bosse avec une autre boîte, aujourd'hui. Et j'ai dit "avec", pas "pour".
Croyez-vous être suffisamment motivés pour réussir dans ce business de fous ?
Chris : Oh oui - on est des yuppies-rockers, on est attirés par les hauteurs.
Kurt : Moi, je suis narcoleptique, donc j'ai un peu de mal à être motivé par quoi que ce soit.
Chris : Disons qu'on est suffisamment motivés pour engager un manager. Il se motivera à notre place. Nous on s'en fout, on se contente de répéter et de tourner.
Kurt : Et ce n'est pas parce qu'on est absolument réfractaires à l'idée de faire carrière, c'est juste qu'on n'a pas la patience de s'occuper des problèmes de management ou de gestion. Ca ne m'intéresse pas assez pour m'inciter à m'en charger. Avant j'oubliais toujours tout quand des gens appelaient chez moi pour booker un concert. Je m'en foutais complètement. La communication au sein du groupe était loin d'être optimale - "Oooh, j'ai complètement omis de vous prévenir que...".
Les fondamentalistes du punk sont d'ores et déjà en train d'aiguiser leurs couteaux avant même que votre nouvel album ne soit sorti - et sans savoir à quoi il ressemblera. En tant que punks fondamentalistes vous-mêmes, dans une certaine mesure, qu'en pensez-vous ?
Kurt : Je crois que ce sera un joli conglomérat de bruit accessible et diffusable en radio qui rappellera néanmoins aussi bien ce qu'on faisait sur Bleach que la façon dont on sonne en concert. C'est toujours heavy. Les compos sont légèrement différentes, mais deux années se sont écoulées depuis Bleach et il est donc naturel que nous ayons progressé. Dans pratiquement toutes les interviews que nous avons données depuis deux ans, nous avons prévenu à peu près tout le monde que nous allions écrire plus de morceaux pop - je pense donc que personne ne sera surpris en les entendant.
Dans ton esprit, "pop" n'est pas un terme péjoratif ?
Kurt : Péjoratif? Non, certainement pas. Mes morceaux favoris sont tous pop. Les Butthole Surfers avaient des titres pop. "Pop" signifie juste "simple", et c'est ce que le punk-rock a toujours été avant de se changer en hardcore.
Chris : Regarde les Sex Pistols - sur Nevermind The Bollocks, il n'y a que des morceaux pop. Ce disque est géant. Et les Clash aussi était un groupe pop.
Kurt : Pour moi, le meilleur album des Clash, c'est Combat Rock. Putain, qu'est-ce que je peux aimer ce disque! Il est largement mieux que Sandinista.
Et les Clash ont fini par être numéro un des charts avec "Should I Stay Or Should I Go?" !
Kurt : Oh mon Dieu!
Chris : Comment est-ce arrivé?
Ils l'ont utilisé sur une pub pour les jeans Levi's.
Kurt : Et voilà, les Clash se sont vendus dix ans après avoir splitté! Enfin... les Ramones figurent bien sur une pub pour la bière Budweiser aux USA, eux.
Alors pourquoi ne pas en faire une vous-mêmes?
Kurt : Voyons ça... On accepterait uniquement d'en faire une pour les savons Dr Bronner ou les couches-culottes Depend.
Chris : On voulait faire celle de Pepsi, mais MC Hammer nous a piqué le plan. Eh mec, pose-nous des questions sur notre superbe nouvel album...
OK, parlez-nous de "Territorial Pissings"...
Kurt : Je n'ai vraiment aucune explication à donner ce titre. La plupart du temps, quand j'ai écrit un morceau et qu'on me pose une question à son sujet, j'invente une explication sur-le-champ, parce que, bien souvent, j'écris les paroles d'une chanson en studio et que, ensuite, je n'ai pas la moindre idée de ce que j'ai voulu dire dans la moitié des textes.
"Smells Like Teen Spirit" ?
Kurt : Eh bien, ça parle de... eh, mon frère, ou plutôt ma soeur, jette le fruit et mange l'écorce...
Chris : Waouh, je vois ça aussi comme ça.
Kurt : Il n'est plus tabou aujourd'hui pour un garçon tatoué de se saisir de sa solidarité familiale et de l'enfoncer dans le cul de ces taches qui aiment les Byrds et Herman's Hermits et que l'on appelle des parents...
Chris : C'est très beau, très cool.
Kurt : Ou alors se transformer en ennemi pour infiltrer les mécaniques d'un système afin qu'il commence lentement à pourrir de l'intérieur.
Chris : Celle-là non plus, elle n'est pas mal. Le morceau parle aussi de ça.
Kurt : Oui, ou pas du tout (sourire sournois).
Essayons encore - Pourquoi l'album s'intitule-t-il Nevermind ?
Kurt : Parce que beaucoup de gens préféreront oublier ou se dire "never mind" ("peu importe") au lieu de prendre une bombe de peinture ou de fonder un groupe, histoire de se trouver une bonne excuse de ne pas en monter un. Je ne sais pas. On dirait que les gens ne font plus autant de choses qu'avant. Ca me perturbe un peu.
Chris : A Los Angeles, il y a des graffitis partout et ce sont juste des gribouillages débiles. Les mecs marquent leur territoire en pissant dessus. Voilà ce que c'est, les "Territorial Pissings"... des mecs qui écrivent sur les murs.
Kurt: C'est une excuse destinée à flatter leur ego. Ce serait tout aussi drôle de tagger "Tuez Georges Bush" sur tous les murs. Que ça ait un impact sur quoi que ce soit ou non n'a aucune espèce d'importance, ce qui est marrant, c'est de le faire. C'est ce que dit l'une des phrases de "Teen Spirit" : "It's fun to lose and to pretend" ("C'est drôle de perdre et de faire semblant").
Et Nirvana, ce n'est pas une excuse pour ne rien faire d'autre ?
Kurt : On fait déjà beaucoup de choses dans le groupe. Et même quand on n'est pas en groupe. Je suis un spécialiste du vandalisme. C'est probablement sans danger pour moi de raconter ça publiquement dans un magazine anglais, mais je préfère ne pas donner de détails.
Chris : On a souvent parlé de lui dans les journaux locaux.
Kurt : De nombreuses fois, oui. Et j'ai aussi été arrêté un bon nombre de fois.
La subversion à petite échelle est donc quelque chose que tu affectionnes ?
Kurt : Bien sûr. Enfin... je veux dire... je n'assassinerai jamais personne. Et pas seulement ça, je ne dirai jamais non plus à personne d'assassiner quelqu'un.
Chris : Les gens méritent bien ça. Surtout aux USA. Ils sont tellement à côté de la plaque et tellement constipés qu'ils ont besoin d'être secoués un peu.
Kurt : C'est juste un moyen amusant de passer le temps, en fait. En plus, ils n'ont rien d'autre à faire dans un petit bled, les flics.
Pourquoi ne pas emménager dans une grande ville ?
Kurt : Parce que dans un petit bled, ça a davantage d'impact sur les gens. Dans les grandes villes, c'est trop commun. Mon Dieu, les USA, c'est le pire endroit pour vivre auquel je puisse penser à l'exception des pays communistes! On vient de faire passer une loi qui impose à tout musicien souhaitant jouer aux USA d'adhérer au Syndicat des Musiciens et de prouver qu'il a "atteint l'excellence". Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, avoir "atteint l'excellence" ? Est-ce que ça veut dire que tu as gagné tant de millions de dollars, que tu es placé dans les charts ou que tu ne vas pas piquer du travail aux Américains ?
Chris : Le mainstream se nourrit avec de la merde et c'est un cercle vicieux. Ils font des sondages démographiques pour savoir ce que veulent les gens, mais ils veulent de la merde, alors on leur en file. Les gens ne peuvent entendre que de la merde et ils ne s'intéressent donc jamais aux nouvelles tendances. Ils sont vraiment futés au gouvernement, ces fascistes. Ils ne sont pas cons. Ils ne veulent pas que des groupes punks ramènent leur fraise et attirent les mômes alors qu'ils pourraient écouter Paula Abdul leur parler de coeurs brisés.
N'est-il pas remarquable de voir que MTV présente Guns N' Roses comme un niveau acceptable de rébellion ?
Kurt : Absolument. Je suis sûr que, dès que les Guns N' Roses sont devenus énormes, le gouvernement s'est empressé de se renseigner sur eux et s'est rapidement aperçu qu'ils n'avaient pas assez de cervelle pour représenter une menace envers quiconque.
Chris : Qu'est-ce qu'Axl Rose a à dire? Quel est son programme électoral ? De quelle substance est-il? D'où sort-il? Il n'y a rien derrière, il ne raconte que des conneries et il n'est bon qu'à... balancer des bouteilles!
Kurt : Pour être honnête envers toi, je dois dire que j'ai entendu parler de ce problème de visas sur MTV, justement, crois-le ou non, pendant les flashes d'actualités. Parce que MTV essaie vraiment d'être aussi subversif que possible, aussi subversif qu'on l'autorise à être, spécialement pendant les flashes. Ils parlent sans arrêt des droits qu'on est en train d'ôter aux Américains. Mais tout le monde s'en branle, ce qu'ils veulent c'est regarder cette putain de nouvelle vidéo de Warrant!
Si Nirvana passait sur MTV, considéreriez-vous cela comme une sorte victoire ?
Kurt : C'en serait une en ce sens que, même si, personnellement, je m'en fous pas mal qu'on passe sur MTV ou pas, ça permettrait sans doute à quelques mômes facilement influençables d'une quinzaine d'années d'apprendre que nous existons et peut-être de les orienter dans une meilleure direction que celle qu'ils auraient suivie. Ca n'a jamais été notre but de passer sur MTV, on a toujours été totalement anti-MTV. Mais maintenant qu'on en a l'opportunité sans doute saisirons-nous cette chance. Ca n'a rien à voir avec une quelconque volonté de notre part de devenir plus populaires, on veut juste que les kids puissent nous écouter et décider par eux-mêmes s'ils veulent de nous. Pourquoi Black Flag n'a-t-il jamais été numéro un ? Si l'industrie musicale avait réellement le pouvoir que lui prête le milieu underground, les dessous de table, les liens avec la Mafia... alors rien ne l'empêcherait de faire exploser ou de détruire n'importe quel groupe, aussi médiocre ou aussi dérangeant soit-il. Ca lui serait aussi facile de prendre une vieille pute comme (Kurt cite le nom d'une chanteuse pop, qui pour des raisons légales, ne peut pas être diffusé ici) qui ne sait pas chanter et ne chante d'ailleurs pas sur ses albums, que de prendre Black Flag et de le promouvoir de la même façon. Je dirais que quatre-vingts pour cent des gens n'aiment pas réellement la musique, alors pourquoi tenter de leur faire plaisir d'une manière ou d'une autre ? Ils ne sont pas foutus de distinguer un bon morceau d'un mauvais, ni de reconnaître un titre pompé ou samplé. Alors pourquoi Black Flag ou Sonic Youth ne peuvent-ils pas être numéro un ? Parce que les major compagnies n'ont pas tant de pouvoir que ça, quand il s'agit de faire ou de défaire un artiste. Et cela pourrait bien arriver à l'un de ces soi-disants groupes alternatifs qu'elles sont en train de signer. Je ne sais pas, tout va tellement lentement de nos jours... Jesus Jones est classé dans l'alternatif. Tous les groupes qui, au départ, étaient censés faire du punk-rock ont décroché leurs premiers hits quand ils se sont finalement décidés à écrire des morceaux véritablement accessibles. Si Blondie a percé, c'est grâce à "Heart Of Glass".
Veux-tu dire que ce phénomène est négatif ?
Kurt : Je ne crois pas que ce soit le cas si le groupe utilise deux ou trois morceaux diffusables en radio afin de séduire les auditeurs, mais tout en restant lui-même ou en les mélangeant avec ce qu'il faisait avant.
Chris : En plus, "Heart Of Glass" est un bon morceau. De même que "Brass In Pocket".
Kurt : Je suis tout à fait d'accord.
Et c'est donc ce que Nirvana essaie de faire ?
Kurt : Ce n'est pas ce qu'on essaie de faire, c'est ce qui est en train de se passer. Si on était sur K Records, on aurait quand même sorti cet album... à condition d'avoir eu suffisamment d'argent pour l'enregistrer. On ne s'est jamais dit qu'il allait falloir qu'on écrive quelques titres pop radiodiffusables et continuer à en écrire d'autres sonnant comme ceux de Bleach de façon à garder notre public tout en passant sur MTV...
Chris : Si tu fais des manigances, ça se voit. Et il n'y a rien de pire que de se faire baiser par des gens qu'on respectait.
Kurt : Mais, dans le même temps, si on se sentait l'envie de faire un album de disco, ce ne sont pas leurs réactions qui nous empêcheraient de le faire.
Tous les grands groupes pop finissent par faire des albums disco. Ne pensez-vous pas, justement, qu'à ce stade de votre carrière beaucoup de gens ne réalisent pas ou peut-être, dans le cas de vos fans, se refusent à accepter que Nirvana est à la base d'un groupe pop ?
Kurt : S'il faut absolument qu'on soit quelque chose, on n'est rien de plus qu'un groupe de plagieurs professionnels. On peut jouer quasiment de tout, à part du metal funk blanc... on n'est pas assez bon musicien, Dieu merci! Mais la seule chose qui fasse probablement qu'on est uniques, c'est qu'on est capables de jouer des morceaux très calmes, puis d'autres très heavy, et de mélanger le tout. Ca a déjà été fait avant, mais pas très souvent. Je ne sais pas... je suis trop pointilleux, je repère constamment des riffs pompés et des influences un peu trop visibles. Je pourrais faire une compilation de petits bouts de nos morceaux qui appartiennent à d'autres morceaux, et tout le monde serait surpris en découvrant certains d'entre eux.
Qu'est-ce qui vous importe le plus dans le groupe ?
Kurt : Nos chansons. Elles nous rendent heureux. Je veux dire... je pourrais vivre avec ou sans n'importe quoi. Je me suis construit suffisamment de lignes de défense pour être capable de tout supporter. Donc si demain on devait splitter, ça m'attristerait, mais je monterais un autre groupe ou je ferais autre chose. On a tous des amis.
Les gens prennent-ils le rock'n'roll trop au sérieux ?
Kurt : Beaucoup trop sérieusement! Ils en attendent tellement de choses. Ils escomptent qu'il sera utilisé comme outil politique, alors qu'il ne devrait être rien de plus qu'un fond sonore.
Veux-tu dire que tu ne lui a jamais accordé beaucoup d'importance ?
Kurt : Non, la musique a complètement changé ma vie. Le punk rock m'a fait prendre conscience de tant de trucs que j'ai du mal à y croire. Il m'a finalement rappelé que j'avais une identité propre. Il a bouleversé ma vie dès que je l'ai découvert et il est essentiel à mes yeux. Mais les gens lui accordent une importance démesurée.
Peux-tu imaginer ce que tu aurais fait si tu étais passé à côté ?
Kurt : Je serais plus dépressif. Mais j'aurais fait quelque chose. Je me serais retrouvé dans un garage à bosser sur des bagnoles, ça, je le sais.
Chris : Ce qui est cool avec la musique, c'est qu'elle a de multiples facettes. Tu peux écouter un morceau de Shonen Knife qui parle de barres chocolatées...
Kurt : ...Ou en écouter un de Fugazi et y prendre autant de plaisir.
Chris : Ils sont aussi importants l'un que l'autre - l'évasion est le message.
Où croyez-vous que se situe Nirvana dans le spectre ?
Kurt : A peu près au milieu, ou alors sur la gauche, ou sur la droite. Oui, non, c'est peut-être ainsi. Probablement du côté de Shonen Knife. Je pense qu'on est un bon exemple prouvant qu'on peut à la fois être idiot et rester tout de même très conscient.
Chris : C'est exactement nous. Les gens sont stupides, tout est stupide, c'est juste une façon de se protéger. Quand la guerre du Golfe a éclaté, ça m'a mis hors de moi. Ca m'a tellement halluciné et énervé de voir à quel point tout ça était faux - c'était un putain tissu de mensonges. Je gonflais tout le monde parce que je ne parlais que de ça. C'était comme une valve qui me permettait d'évacuer la pression. La meilleure chose que j'aie à faire, c'est de vivre ma vie du mieux que je peux. Je crois que je vais me faire vasectomiser, de façon à n'être plus responsable que de moi-même.
Kurt : Mais tu serais probablement un bon père et tes enfants pourraient contribuer à améliorer la situation.
Chris : Oui, mais il y a aussi le problème de la surpopulation. Si je voulais être père, j'adopterais sans doute un enfant du Tiers-Monde et lui donnerais une vie décente, au lieu de laisser déambuler le fruit de mon propre sperme. Ce serait cool d'avoir un enfant que ma femme et moi-même aurions créé, ce serait impecable, mais, dans ce monde qui sera le nôtre d'ici cinquante ans, il y aura beaucoup trop de gens, mec. Alors dites bien à vos femmes ou à vos copines de se laver avec les savons Dr Bonner... (Chris se lance dans une suite inintelligible de babillages) Et qu'est-ce que tu feras plus tard ? Tu joueras dans un groupe ? Tu écriras dans un magazine ?
Euh... oui. Ou peut-être quelque chose d'encore plus gratifiant ?
Chris : Ouais! Enfin, non!!! Que vas-tu faire ? Travailler dans une station-service et t'acheter une voiture ? C'est ça la vie ? Se payer une caisse et un robot Moulinex ? Tire ta flemme, sois relax, mec. Tu vois ce que je veux dire ? Tout ce que tu as vraiment à faire, c'est manger, boire et être joyeux. Et quoiqu'il advienne, garde toujours une bonne attitude, mon frère, même quand tu as la tête dans le caniveau.
C'est donc ça le message de Nirvana - les gens ne doivent pas se tromper de priorités ?
Chris : Tout à fait.
Kurt : J'ai demandé à Brianne, ma petite soeur de quatre ans, quel était le plus grave problème dans le monde. Et elle m'a répondu que les gens devraient se concentrer davantage. C'était époustouflant. Elle va grandir et devenir quelqu'un d'important... et elle ne sera pas Présidente. (Rires) Je pense qu'on perd un peu son temps en dénigrant l'ogre corporatiste, il faut l'utiliser et le violer tout comme il te viole toi.
Super, tout un monde de violeurs!
Kurt : Au moins, on a le mérite de se battre. Je ne crois pas qu'il faille écarter des options pour que ton propre univers ait l'air plus important. (Longue pause, puis un sourire) Et je crois que "empathie" est un joli mot.