AFFAIRE COBAIN :
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TOM GRANT, DÉTECTIVE PRIVÉ ENGAGÉ PAR COURTNEY LOVE POUR RETROUVER KURT COBAIN
Le 1er avril 1994, Kurt Cobain quitte le centre de désintoxication de Marina Del Rey, en Californie. Sa disparition est signalée un peu plus tard. Une semaine après, Cobain est retrouvé mort.
Je m'appelle Tom Grant. Je suis détective privé agréé par l'État de Californie, et ancien détective au Bureau du shérif de Los Angeles. Le 3 avril 1994, j'ai été engagé par Courtney Love, épouse de Cobain, pour retrouver la trace de son mari. Mme Love séjournait alors à Los Angeles. C'est de là que je suis parti pour Seattle, ville où résidait le couple, avec Cylan Carlson, le meilleur ami de Cobain.
Quand, un peu plus tard, le corps de Cobain a été découvert dans la pièce au-dessus du garage, la police a conclu qu'il s'agissait d'un suicide.
Je n'étais pas de cet avis. Pas plus qu'une amie proche du couple Cobain, ou qu'une de leurs avocates, Rosemary Carrol.
Quelque chose sonnait faux dans tout cela, terriblement faux.
LE MEURTRE DE KURT COBAIN
Résoudre un mystère n'est pas toujours le travail le plus difficile pour un enquêteur. La véritable difficulté vient parfois des barrières que la police dresse entre elle et les détectives privés.
Depuis la découverte du corps de Kurt, le 8 avril, je continue mon enquête à propos du mystère qui entoure les circonstances de sa mort. Durant la première phase de l'enquête, des erreurs ont été commises, par la police et par moi-même. Cela arrive souvent dans les affaires complexes.
Certains ont tenté, et tentent encore, deme discréditer. Si l'un d'eux est directement impliqué dans cette affaire, c'est à lui que je m'adresse : je prendrai peut-être quelques coups ici et là, mais quels que soient l'influence, l'argent ou le pouvoir que vous pensez détenir, vous vous attaquez à plus fort que vous.
Kurt Cobain voulait laisser tomber. Laisser tomber les concerts, le groupe, le business qui lui imposait de produire sa musique au lieu de jouer simplement. Mais Kurt Cobain ne voulait pas laisser tomber la vie.
Selon moi, Kurt Cobain est mort dans la nuit du dimanche 3 avril, ou tôt le matin du lundi 4 avril. Ceux qui déclarent l'avoir vu après 7 h 30 lundi matin sont des menteurs. La plupart des informations fournies par ces "témoins" ont été, cependant, délibérément répandues dans les médias.
Deux personnes au moins savaient que Kurt était mort avant que je parte pour Seattle à sa recherche le mercredi 6 avril 1994.
Contrairement à ce que dit la police, la note retrouvée sur les lieux du drame n'est pas une note de suicide adressée à Courtney et Frances, mais une longue lettre destinée aux fans de Kurt, et complétée d'une petite note en bas de page pour Frances et Courtney.
La lettre explique sa décision d'arrêter les tournées, ainsi que les représentations avec son groupe. Kurt quittait Seattle pour l'Est du pays, où il voulait désormais demeurer avec des amis. Il aspirait à un peu de solitude. Il ne voulait plus être suivi par quiconque, même pas par sa femme. Voilà le sujet de la lettre. Le seul et unique sujet de sa lettre. Elle a été écrite par Kurt, à l'exception des mots suivants ajoutés à la fin : "qui sera tellement plus heureux sans moi. Je vous aime, je vous aime". Ces mots ont pu être ajoutés à son insu.
L'enquête que j'ai entreprise est longue et fastidieuse. Elle constitue un délicat exercice d'équilibriste. Il m'a fallu trouver une position qui me permette à la fois de réunir des informations et de rester intègre vis-à-vis de ma cliente.
Gardez vos yeux, vos oreilles et vos esprits ouverts. Car un jour, cette affaire sera élucidée et ceux qui y sont impliqués seront poursuivis en justice.
EN LIGNE :
BRUCE HANDY, LISA MACLAUGHLN, JEFFREY RESSNER, DAVE THOMPSON DANS UN ARTICLE DE TIME MAGAZINE (18 AVRIL 1994)
KURT COBAIN ÉTAIT LE LEADER AUSTÈRE ET ÉCLATANT DE NIRVANA, LE GROUPE GRUNGE AUX MULTIPLES DISQUES-PLATINE, QUI IMPRÉGNA DE SON STYLE LE SON DES ANNÉES 1990. LA SEMAINE DERNIÈRE, KURT COBAIN S'EST TUÉ.
Kurt Cobain a vécu les dernières semaines de son existence dans un climat délétère de méfiance, de peine et d'agitation. Dans l'industrie du disque circulaient des rumeurs, selon lesquelles l'auteur-compositeur-interprète de Nirvana était en train de s'effondrer. On disait que Cobain, qui avait survécu à un coma provoqué par l'injection de tranquillisants six semaines auparavant, venait de subir une nouvelle overdose. Ces supputations parurent s'avérer lorsque le groupe annonça inopinément l'annulation de sa tournée d'été à Lollapalooza.
La vérité, semble-t-il, c'est que Cobain, qui prétendait avoir vaincu sa dépendance à l'héroïne, continuait bel et bien à faire usage de drogues. Un important représentant de l'industrie du disque a déclaré à Time Magazine que, voici deux semaines, l'épouse de Cobain, Courtney Love, chanteuse du groupe Hole, a réuni des médecins et des amis à Seattle, au domicile du couple, afin d'obliger son mari à se soigner. Les imprésarios de Nirvana ont même menacé d'abandonner Cobain s'il ne se désintoxicait pas vite fait. La manuvre a porté ses fruits puisque Cobain a séjourné dans un centre de traitement en Californie. Mais, d'après un rapport de disparition, rempli par sa mère, Cobain s'en est échappé au début de la semaine dernière. La police de Seattle a fouillé sommairement son domicile, sans trouver trace du chanteur.
Vendredi dernier, un électricien se rend chez Cobain pour y installer un système de sécurité. Comme personne ne répond à son coup de sonnette, il fait le tour de la maison, et observe à travers les fenêtres. Il lui semble qu'un mannequin est allongé sur le sol, jusqu'à ce qu'il distingue ce qui pourrait être une flaque de sang.
Lorsque la police et le coroner enfoncent la porte, ils trouvent Cobain allongé par terre. Un fusil traîne sur le sol. Sur une commode se trouve une lettre adressée à Courtney Love, sa femme, et à leur fille Frances Bean, un bébé de 19 mois. Cette lettre, rédigée à l'encre rouge, explique son suicide, et se termine par les mots : "Je vous aime, je vous aime".
Kurt Cobain est mort à vingt-sept ans. La nouvelle tombe comme un couperet pour des millions de fans, et MTV interrompt aussitôt ses programmes habituels, les remplaçant par une veillée funèbre, comme après la mort de John Fitzgerald Kennedy. L'immense influence de Cobain explique la solennité donnée à l'événement...
Nirvana apparut un beau jour aux confins les plus reculés du rock'n'roll, avec un premier album, enregistré pour la modique somme de six cent six dollars. L'album suivant, Nevermind, est un savant mélange de chansons assourdissantes aux mélodies accrocheuses, mi-punk, mi-Beatles.
Vendu à dix millions d'exemplaires et détrônant Dangerous de Michael Jackson en tête des hit-parades, l'album captive toute une génération. La mode grunge est lancée, et Seattle est enfin célèbre pour autre chose que ses cappuccinos, son temps déprimant et ses mauvaises équipes sportives. Rapidement, d'autres groupes de rock originaires de la même ville, tout aussi corrosifs, tels que Pearl Jam, Mudhoney et Alice In Chains, rejoignent Nirvana aux sommets de la gloire. Au début de l'année 1992, le magazine Rolling Stone surnomme la ville "la nouvelle Liverpool". Cobain, pierre angulaire de cet édifice, devient le John Lennon du NorthWest. Auteur-compositeur habité de mots brûlants, il est aussi une bête de scène dont les distorsions faciales n'ont rien à envier à celles de Jack Nicholson.
Les circonstances de la mort de Cobain ne doivent pas surprendre. Cobain parlait ouvertement de drogue, de suicide, de dépression. Il avait enregistrée une chanson intitulée I Hate Myself & I Want to Die, titre qui, finalement, ne fut pas inclus dans son dernier album. "C'était complètement satirique, nous nous moquions de nous-même, expliqua-t-il un jour à un journaliste. On me prend pour un schizophrène ivre, allumé, capricieux, qui veut se donner la mort. J'ai pensé que c'était un titre rigolo."
Courtney Love, une star du rock alternatif, se trouve à Los Angeles au moment de la mort de Cobain, et revient à Seattle par avion le vendredi matin. La semaine précédente, lors d'une interview avec le critique musical Robert Hilburn, elle est tombée en larmes en évoquant la fragilité mentale de son mari, et en se rappelant son visage épouvantablement cyanosé lors de son overdose "accidentelle" du mois précédent à Rome.
Une source proche de Cobain nous a confirmé ce qui, aujourd'hui, semble évident : cet "accident" était, en réalité, une tentative de suicide infructueuse. Qui croirait que l'on peut prendre cinquante cachets par accident ? Deux semaines après être revenue à Seattle, Love se voit obligée d'appeler la police lorsque Cobain s'enferme dans une pièce avec les armes à feu qu'il lui plaît de conserver chez lui. La police confisquera quatre armes ce jour-là, y compris un colt AR-15 semi-automatique.
Élevé dans la région marécageuse d'Aberdeen, sur la côte pacifique de l'État de Washington, Cobain a vécu une enfance relativement heureuse, jusqu'au divorce de ses parents, une serveuse de bar et un mécanicien. Il n'a alors que huit ans, et il affirmera que cette séparation traumatisante a définitivement empli sa musique d'angoisse.
Ballotté entre différents membres de sa famille, il lui arrive, une fois, de devoir dormir sous un pont. Son sens artistique naissant, et une attitude quelque peu iconoclaste ne lui valent pas l'amitié de ses camarades de collège ; en revanche, il attire les coups, mais s'en venge, parfois, en peignant le mot pédé sur le véhicule de ses agresseurs.
Cobain forme plusieurs groupes avant que Nirvana ne voie le jour, en 1986. Nirvana rassemble Cobain, son ami d'enfance le bassiste Krist Novoselic, et le batteur Dave Grohl. Cobain épouse Love en 1992, alors que le groupe connaît ses premiers succès. Courtney attend déjà Frances Bean, et les deux parents sont héroïnomanes. "Toutes ces bagarres et cet amour extrême, c'était une sensation comme peuvent en ressentir les derviches tourneurs, enivrante et déroutante", dit un jour Courtney pour décrire son mariage, tout en montrant fièrement, sur le dos de son mari, quelques vilaines griffures.
La gloire de Nirvana a dévoré Cobain. Il paraissait torturé par le succès. "C'était un individu très intelligent, gentil, généreux, parfois un peu trop doux et trop sensible pour ce business," explique Michael Azzerad, auteur de Come as You Are : l'histoire de Nirvana. Danny Goldberg, qui gère à présent Atlantic Records, déclare : "Il était assez perplexe quant à la nécessité de sa présence sur cette planète". Goldberg se rappelle la réponse de Cobain lorsqu'un manager lui demanda pourquoi il pleurait : "Je suis réveillé, n'est-ce pas ?"
Cobain souffre des tourments habituels du poète marginal soudainement confronté à la masse ; il s'inquiéte de ce que ses concerts affichent complet, et attirent tant de fans semblables à ces types qui lui cassaient la figure quand il était enfant. Bien sûr, il aime l'argent qui vient avec cette foule. Mais dans chaque interview, sa douleur ne cesse de transparaître. Cobain a dit que l'héroïne était son remède contre les crampes d'estomac, mais ce qu'il recherchait vraiment à travers elle, c'était son équilibre psychique.
"Rien ne serait arrivé si Kurt n'avait pas été si célèbre, insiste Daniel House, un ami de Cobain, propriétaire d'une maison de disques indépendante. Lorsque Nirvana a commencé à avoir du succès, il s'est égaré. Sa musique était terriblement intime et singulière. C'est pourquoi il se disait sidéré de voir que des fans si nombreux se déplaçaient pour venir l'entendre."
Les fans se déplaçaient, en fait, parce que Cobain véhiculait dans ses disques une beauté et un message abrupts. Il y avait dans les textes de ses chansons de l'aigreur ou de l'opacité. Prenez par exemple les vers, à la fois acerbes et désabusés de son plus grand tube, Smells Like Teen Spirit :
Et j'oublie mon propre goût
Oh oui ça me fait sourire
Je trouve ça dur, c'était parfois dur de le trouver
Oh, bon, de toutes façons, ce n'est pas grave .
Les grognements de Cobain, brutaux ou exténués, ses guitares, convulsives ou rapeuses, les percussions assourdissantes : tout cela débordait de colère, de haine, mais aussi de passion.
Son état d'esprit, c'était une furie juvénile identique à celle qu'avaient exprimée les Sex Pistols. Le nihilisme des jeunes n'est sans doute pas un concept neuf, mais Cobain en a tiré des chansons géniales.
Dans son ancien appartement, Kurt avait peint sur un pan de mur ce graffiti : "Personne ne connaîtra jamais mes intentions !". Tel était son credo. Telle est son épitaphe.
En ligne :
-Lettre trouvée pres de son corps voir : "suicide"
-Interview, voir "interview 3"